Les presets.
Ils sont partout.
Plugins, synthétiseurs, effets, DAW : aujourd’hui, chaque outil propose sa bibliothèque de solutions instantanées.

C’est pratique. C’est rapide. C’est confortable.

Et c’est, souvent, dangereux.

Parce que derrière chaque preset se cache une promesse :

“Vous n’avez plus besoin de chercher. C’est déjà fait pour vous.”

Mais la musique, la vraie, celle qui vient toucher, transformer, troubler, n’est pas préfabriquée.
Elle est vivante.
Elle est circonstancielle.
Elle est instable.

Alors, faut-il bannir les presets ?
Pas forcément.
Mais il faut les comprendre. Les questionner. Les détourner.
Et surtout, savoir pourquoi, quand, et comment les utiliser sans perdre sa voix.

Synthétiseur modulaire réaliste, tous les câbles de connexion flottant débranchés dans l’air, lumière tamisée.
Un preset connecte pour vous. Créer, c’est choisir chaque lien.

Un preset, c’est quoi, fondamentalement ?

Techniquement, un preset est un réglage prédéfini.
Une configuration d’effets, de paramètres, d’outils qui produit un résultat “prêt à l’emploi”.

Mais en réalité, un preset est une trace.
La trace d’une oreille.
La trace d’une esthétique.
La trace d’une époque.

Quand vous chargez un preset “Vocal Magic Reverb” ou “Fat Bass Slam”, vous n’appelez pas juste un effet sonore.
Vous importez un choix esthétique préexistant, fait par quelqu’un d’autre, dans un contexte particulier.

Et sans vous en rendre compte, vous commencez à raconter une histoire qui n’est pas forcément la vôtre.


Pourquoi les presets séduisent autant

1. Parce qu’ils donnent des résultats immédiats

Qui n’a jamais eu besoin de gagner du temps, d’avancer vite, de poser un son pour construire l’arrangement ?

Le preset offre cette gratification rapide : “ça sonne tout de suite.”

C’est utile.
Parfois nécessaire.
Mais jamais neutre.


2. Parce qu’ils masquent l’angoisse du vide

Créer, c’est affronter l’indéterminé.
Le vide.
Le possible.

Le preset vient remplir ce vide avant même qu’on ait eu le temps de le regarder en face.

C’est rassurant.
Mais c’est aussi souvent stérilisant.


3. Parce qu’ils flattent le besoin de conformité

Il faut que “ça sonne pro”, que “ça passe”, que “ça ressemble à…”

Le preset est conçu pour ça :

  • respecter les standards de loudness,
  • flatter certaines courbes fréquentielles,
  • offrir un son “déjà validé”.

Mais la musique qui marque, elle, ne ressemble pas aux standards.
Elle les questionne, les détourne, les dépasse.


Ce que l’usage excessif des presets peut tuer

L’intention personnelle

À force d’enfiler des presets, on oublie ce qu’on voulait exprimer au départ.
On modèle sa création pour “faire sonner le preset” au lieu d’adapter le traitement au morceau.


L’écoute active

Le preset court-circuite souvent l’écoute attentive.
On se contente d’entendre “ça sonne bien” sans chercher ce qui sonnerait juste.


L’exploration sonore

Le preset coupe court au processus de découverte.
Il interdit l’échec, l’accident, la tentative bizarre qui aurait pu déboucher sur un son nouveau.


Et pourtant… les presets sont aussi des outils formidables

Parce qu’il ne faut pas tomber dans l’excès inverse.

Un preset :

  • peut inspirer,
  • peut débloquer une situation,
  • peut donner une couleur inattendue,
  • peut être le point de départ d’une mutation sonore.

À condition de ne jamais le prendre pour une fin.


Comment utiliser les presets sans perdre son identité

1. Les voir comme des brouillons, pas comme des solutions finales

Un preset, c’est un point de départ.
Pas une arrivée.

Chargez-le.
Écoutez-le.
Puis désossez-le.

Quels paramètres sont vraiment nécessaires ?
Qu’est-ce qui peut être simplifié, tordu, inversé ?


2. Modifier systématiquement les presets

Ne jamais laisser un preset tel quel.

Même un petit changement :

  • variation du decay sur une reverb,
  • déplacement d’une fréquence de sidechain,
  • ajustement d’une modulation, peut suffire à réinjecter votre main dans le son.

3. Créer ses propres presets (à partir du travail vivant)

L’idée n’est pas d’interdire toute automatisation.
Mais de capturer ses propres trouvailles.

Quand un patch, un effet, une chaîne sonore prend vie sous vos doigts, sauvegardez ce moment.

Votre preset devient alors :

  • le souvenir d’une écoute,
  • une empreinte d’un geste créatif,
  • pas une recette impersonnelle.

4. Utiliser les presets pour provoquer des accidents

Chargez un preset sur un signal pour lequel il n’est pas prévu.

  • Une reverb vocale sur une basse.
  • Un compresseur de batterie sur une nappe.

Et observez ce qui se passe.
Souvent, les détournements les plus riches naissent de l’incongruité.


Presets et industries culturelles : un problème structurel

Aujourd’hui, tout pousse à l’uniformisation sonore :

  • mêmes plugins,
  • mêmes presets,
  • mêmes recettes de mastering,
  • mêmes influences.

Le risque ?
Un monde musical lisse. Prévisible. Inoffensif.

Or la musique, historiquement, avance par accident.
Par rencontre d’intentions non conformes.
Par collision d’esthétiques mal ajustées.

Les presets, utilisés sans recul, font glisser la création vers la répétition.


Ce que révèle l’usage instinctif des presets

Il n’y a pas que de la paresse derrière le preset.
Il y a souvent :

  • une peur de rater,
  • une peur d’être jugé,
  • une peur de ne pas “faire assez bien”,
  • une peur de ne pas être compris.

Utiliser un preset, c’est parfois s’acheter une validation sonore avant même de s’exposer.

Mais cette peur, si on l’affronte, devient une source puissante de singularité.

Surface glacée craquelée laissant entrevoir des flux lumineux organiques en mouvement sous la glace.
Derrière chaque preset figé, une énergie attend d’être libérée.

Cas vécus en studio

Exemple #1 — La voix aseptisée

Un·e chanteur·euse arrive avec une prod maison.
Tout est calé : beats, basses, pads… et la voix semble “froide”.

On découvre qu’un preset vocal hyper compressé a “nettoyé” toutes les aspérités naturelles.

Décision :
Revenir à une prise brute, minimalement traitée.
Résultat : une émotion retrouvée, une fragilité palpable.
Le morceau prend vie.


Exemple #2 — Le glitch involontaire

Sur une session d’électro-acoustique, un preset mal chargé sur une piste de percussion produit un bruit étrange.

Premier réflexe : “On corrige.”

Deuxième écoute : ce bruit devient l’élément signature du morceau.
On reconstruit l’arrangement autour de cette anomalie.


De la facilité à l’intention : changer d’attitude

Utiliser un preset ne pose problème que si c’est un automatisme.
Si c’est un choix conscient, il peut devenir :

  • un levier,
  • un raccourci inspiré,
  • un geste stylistique assumé.

L’essentiel est de toujours pouvoir répondre honnêtement à cette question :

“Est-ce que ce son me ressemble ?
Ou est-ce que je m’efface derrière une solution toute faite ?”


Conclusion : les presets sont neutres. C’est notre usage qui fait la différence.

Un couteau n’est pas responsable de la qualité du repas.
Un preset n’est pas responsable de la pauvreté d’un morceau.

C’est l’intention, l’écoute, le sens donné à chaque geste sonore qui déterminent la richesse d’une création.

Utiliser des presets ?
Oui.
Mais en créateur, pas en consommateur.

C’est cette posture qui fait la différence entre :

  • un morceau qui sonne “correctement”,
  • et une œuvre qui porte une voix.

Et cette voix, aucune bibliothèque de presets ne peut la remplacer.